Câbles internet sous marin, que se passe-t-il si la Russie coupe le câble ?

Guillaume, le 8 mars 2024 Environnement

Si le réseau internet pouvait se résumer à un seul élément, ce serait immanquablement les câbles sous-marins qui traversent le monde. À l’heure actuelle, 1,3 million de kilomètres de ces câbles, qui font à peine une dizaine de centimètres de diamètre, et représentent à eux seuls 99% du trafic internet mondial, parcourent ainsi les mers et les océans. Autant dire qu’ils sont d’une importance stratégique, et qu’il suffit d’en sectionner quelques-uns pour pouvoir créer de sérieux problèmes. Ce dont les autorités de nombreux pays occidentaux estiment la Russie capable à l’avenir.

Les forces russes de plus en plus intéressées par les câbles internet sous-marins

Dès le début de l’invasion russe en Ukraine, l’OTAN a cherché à connaître tous les angles d’attaques possibles de la Russie contre les pays occidentaux. Et l’une des fragilités détectées a été les câbles internet sous-marins, qui assurent le transfert continu des données sur la planète à une vitesse se situant dans les térabits par seconde. En effet, les navires russes présentés comme étant de « pêche » ou de type « océanographique » sillonnent depuis plusieurs années les côtés de l’Europe de l’ouest, et notamment de la France et de l’Irlande, afin de mieux situer ces équipements, immergés à plusieurs milliers de mètres de profondeur.

Il est ainsi établi qu’en août 2021, un mini-sous-marin russe de type AS-37, qui équipait le navire océanographique Yantar, avait plongé jusqu’à 6000 mètres en profondeur pour suivre au large de l’Irlande le tracé des câbles AEConnect-1 et Norse, dont le rôle est d’assurer la connexion internet entre l’Amérique du Nord et l’Europe.

Des câbles qui assurent le bon fonctionnement du « village global »

L’inquiétude est évidemment au rendez-vous. Car internet n’est pas seulement le réseau grâce auquel les utilisateurs du monde entier peuvent regarder leur série sur Netflix ou s’envoyer images et messages. Et une vingtaine d’années, il est devenu l’élément-clé nécessaire au bon fonctionnement de l’économie mondiale. Ce sont ainsi chaque jour l’équivalent de 10 000 milliards de dollars de transactions financières qui sont effectuées grâce à ces câbles, et ce, en grande partie via le principal système d’échanges financier mondial, le fameux SWIFT. Un système dont, on rappelle, la Russie a été exclu à la suite de l’entrée de ses armées en Ukraine, et dont l’interruption n’aurait donc que peu d’impact sur sa propre économie.

De manière plus générale, une rupture ou même un fort ralentissement du trafic internet aurait un effet direct sur les communications entre les entreprises à travers la planète, entreprises qui, dans notre économie mondialisée, travaillent en flux tendu pour assurer la fabrication de produits et de services. Nul doute qu’une attaque sur les câbles internet sous-marins montrerait une fois encore, après le Covid-19, la grande instabilité des chaînes  d’approvisionnement mondiales.

 

Certains pays sont plus fragiles que d’autres face à d’éventuelles coupures

Pourtant, même si tous les pays du monde sont vulnérables à ce type d’offensive, l’Europe reste tout de même mieux lotie que d’autres parties du monde. Notre Vieux Continent est en effet connecté aux autres régions de la planète à travers de multiples câbles. Quand l’un ou plusieurs d’entre eux sont sectionnés, le trafic est redirigé vers les autres, ce qui permet de maintenir une connexion, certes dégradée, le temps que les réparations soient effectuées.

C’est d’ailleurs ce qui était arrivé en octobre 2022 à Marseille, grand hub mondial des câbles internet, quand trois câbles à fibre optique avaient étés coupés. Si un ralentissement de la connexion internet avait alors pu être observé par des utilisateurs en Europe, aux États-Unis et même en Asie, le réseau en lui-même n’a jamais été interrompu. Une position privilégiée d’autant plus saillante quand on la compare avec des incidents ayant lieu ailleurs dans le monde.

En 2007 au Vietnam, la section d’un câble sous-marin reliant le pays au monde par des pêcheurs avait réduit de 90% la connectivité du pays pendant plusieurs semaines. Plus près de nous, en janvier 2020, la coupure du câble Falcon dans la mer Rouge par des partisans houthis avait durant plusieurs jour impacté 80% des connexions internet au Yemen.

 

Les GAFAM devraient pouvoir toujours s’en sortir, contrairement à d’autres

Cette inégalité n’est d’ailleurs pas la seule quand on analyse les effets potentiels d’une attaque sur ces câbles sous-marins. Car si certains craignent dans ce cas de ne pas pouvoir accéder au moteur de recherche Google ou à leur réseau social préféré pour communiquer, ces géants pourraient ne pas afficher de page d’erreur dans notre scénario. Car même s’ils ne souhaitent pas communiquer sur cette question, il est probable que les GAFAM possèdent des serveurs disséminés un peu partout sur la planète et que, en conséquence, une partie des requêtes ne soient pas traitées par des installations aux États-Unis.

Le problème pourrait être plus conséquent pour les plus petites entités qui proposent leurs services sur internet en faisant appel à un hébergeur unique dont les serveurs seraient situés ailleurs que sur le territoire européen. Ce sont donc les services proposés par ces sociétés, qui sous-traitent sans considérer la question de l’implantation géographique des serveurs, qui devraient être les plus vulnérables. Beaucoup d’acteurs économiques réfléchissent en effet encore dans le cadre d’un marché mondialisé sans-frontière, et ce alors que nous assistons à l’émergence d’un monde en fragmentation, fonctionnant par blocs.

La Russie a depuis longtemps organisé sa résilience

La Russie n’a elle pas ce problème. Moscou se place en effet depuis des années dans une optique d’internet souverain, dans laquelle le pays doit pouvoir compter sur ses propres outils dans tous les domaines. Elle dispose ainsi de ses propres plateformes numériques comme le réseau social Vk ou bien le moteur de recherche Yandex, et oblige les acteurs du secteur à héberger les données personnelles des citoyens du pays en Russie. Le plus grand pays du monde a aussi développé son propre système de paiement Mir, ce qui lui a permis d’encaisser le choc consécutif à son éviction de Swift.

Dès lors, l’idée selon laquelle attaquer le trafic internet mondial en sectionnant les câbles ferait autant de dommages au potentiel attaquant (la Russie) qu’aux victimes pourrait ne plus être vrai. Car en comparaison du pays de Vladimir Poutine, la France apparaît comme beaucoup plus dépendante. « Aujourd’hui, 80% du trafic généré par les internautes français part vers les Etats-Unis » explique ainsi le directeur Réseaux et Services Internationaux chez Orange, Jean-Luc Vuillemin. Au total, la France est reliée au monde par 51 câbles sous-marins, dont certains sont dits « mégacâbles », du fait de leur plus grande puissance. Et malheureusement, selon Jean-Luc Vuillemin, « il suffit de rompre deux ou trois de ces mégacâbles pour que la France se retrouve dans une situation extrêmement difficile. »

La France veut se défendre, mais à quand l’autonomie ?

Un problème qui n’a évidemment pas échappé au gouvernement. Dans sa « stratégie de maîtrise des fonds marins », présentée en février 2022, le ministère des Armées explique que l’État a compris l’importance des câbles internet sous-marins pour la défense du territoire français. En conséquence, les armées vont se doter de moyens lui permettant non seulement de surveiller le plancher océanique, et donc de voir à près de 6000 mètres de profondeur, mais aussi d’agir à cette profondeur. Pour Florence Parly, qui était à l’époque la ministre des Armées, ces nouveaux moyens permettront de « couvrir 97% des fonds marins et de protéger efficacement nos intérêts. »

Cable Internet sous marins

Reste que que l’espace à arpenter est gigantesque, ce qui assurerait une quasi impunité à un acteur étatique souhaitant vraiment passer à l’action pour sectionner plusieurs câbles. S’il arrivait à atteindre un nombre suffisant de ces branchements, il pourrait produire de fortes perturbations dans l’écosystème mondial, et ce pendant un temps plus ou moins lent.

Raison pour laquelle de plus en plus de voix se lève pour proposer une alternative à la surveillance, qui serait une relocalisation d’activités numériques sur le territoire européen. L’autonomie et la souveraineté sur ces sujets permettraient ainsi d’améliorer la sécurité du réseau internet français, et de couper l’herbe sous le pied de potentiels agresseurs. Mais les autorités françaises, et européennes, sont-elles prêtes à prendre ce virage, qui les éloigneraient du grand allié américain ?

C’est une question qui se pose quand on sait qu’en juillet 2023 encore, la Commission européenne avait adopté une nouvelle décision d’adéquation permettant le transfert libre de données personnelles de citoyens européens vers les États-Unis. À quand le changement ?

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Guillaume
Passionnée par l'univers des Telecom, j'ai créé ce site pour aider chacun à mieux s'y retrouver au milieu de la guerre des prix des opérateurs aussi bien sur les forfaits mobile que sur les box internet. La dynamique du secteur en a fait mon métier.
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