Alors que les Français se sont considérablement « décrispés » à l’égard de la vaccination contre le Covid-19 (+ 15 points de volontaires entre décembre et janvier), 46% n’avaient toujours pas l’intention de se faire vacciner, il y a encore quelques jours. Dans le détail, on observe que les femmes sont plus sceptiques (54%), comme dans la plupart des enquêtes de ce type, ce qui traduit le poids de leur « assignation » à l’éthique de la sollicitude (care) en général, rôle en vertu duquel elles doivent veiller à la santé des membres du foyer, quitte à se montrer plus prudentes à l’égard de solutions nouvelles. Si on observe aussi des doutes plus forts chez les catégories populaires (60%), les sympathisants des partis les plus contestataires s’illustrent par leurs réticences : ainsi, 53% des partisans de la France Insoumise, et surtout 64% de ceux du Rassemblement National n’ont pas l’intention de se faire vacciner contre le Covid-19, preuve de la politisation d’un enjeu sanitaire qui devrait pourtant faire l’unanimité. Mais la défiance « partisane » n’est pas la seule à structurer le refus du vaccin. Au contraire : la défiance à l’égard des institutions comme le Conseil scientifique nourrit celle vis-à-vis du vaccin (59% de refus chez ceux qui doutent du Conseil, contre 37% chez ceux qui lui font confiance), comme la défiance à l’égard du masque (74% de refus chez les antimasques) et à l’égard des bienfaits de la science. Ainsi, parmi ceux qui estiment que « la science apporte plus de mal que de bien à l’homme », la majorité (60%) n’envisage pas de se faire vacciner contre le Covid-19.
Des Français réfractaires à la vaccination contre la Covid-19
Dans le premier volet de cette enquête, réalisée du 11 au 12 janvier 2021, 54% des Français affirmaient avoir l’intention de se faire vacciner contre la Covid-19, avant d’atteindre 58% selon une enquête réalisée par l’Ifop pour CNews et Sud Radio, du 18 au 19 janvier 2021.
Un taux aujourd’hui majoritaire, ce qui n’a pas toujours été le cas : entre fin novembre et début décembre 2020, seuls 39 à 41% des Français déclaraient vouloir se faire vacciner contre la Covid-19. Un “retournement d’opinion” qui s’explique notamment par le début de la campagne de vaccination dans plusieurs pays, sans constatation d’effets secondaires graves, la médiatisation de l’apparition du variant “britannique” qui fait toujours craindre un embrasement de l’épidémie ainsi que le démarrage poussif de la campagne de vaccination en France, avec la crainte sous-jacente d’un manque de doses.
Si 54% des Français déclarent vouloir se faire vacciner à la mi-janvier 2021, cette proportion monte à 63% chez les hommes, contre seulement 46% chez les femmes. Cet écart se justifie notamment par le fait que les femmes manifestent davantage que les autres des opinions et attitudes prudentes, voire sceptiques.
On observe également des disparités au niveau de l’âge. Mis à part les 18-24 ans, parmi lesquels 52% souhaitent se faire vacciner dès que possible, l’intention de se faire vacciner augmente avec l’âge, passant de 34% chez les 25-34 ans à 73% chez les +65 ans. Des chiffres qui s’expliquent notamment par la vulnérabilité accrue des plus âgés face au Covid-19, premières cibles de la campagne de vaccination française.
En ce qui concerne la catégorie socioprofessionnelle, les cadres et professions intellectuelles supérieures se distinguent par une tendance plus force à vouloir se faire vacciner (62%), contre 52% des professions intermédiaires et 43% des ouvriers.
Chez les personnes déclarant ne pas vouloir se faire vacciner contre le Covid-19, les raisons avancées portent avant tout sur le saut dans l’inconnu que représenterait cette démarche. On retrouve ainsi, comme principale cause de méfiance : le manque de recul concernant ses potentiels effets sur la santé (79%), la crainte de potentiels effets secondaires indésirables (74%), mais également le sentiment que les laboratoires et les autorités ne disent pas toute la vérité sur ce vaccin (71%).
Refus de la 5G et du vaccin contre le Covid-19
La crise de confiance à l’égard du vaccin n’est pas sans rappeler la controverse récente autour des débats sur la 5G. Dans les deux cas, une partie importante de la population s’oppose à l’utilisation de ces technologies alors qu’aucun consensus scientifique n’a étayé l’existence de leurs effets néfastes sur la santé. Ainsi, plus de la moitié des Français (58%), se déclarent favorables à un moratoire sur le déploiement de la 5G, dans la lignée des revendications actuellement portées dans de nombreux conseils municipaux.
Les Français adoptent ainsi, à l’égard de la 5G, un principe de précaution. Ainsi, seuls 39% des Français déclarent être disposés à souscrire un abonnement 5G. Soit moins que la proportion prête à se faire vacciner contre le Covid-19.
Des lignes de clivage similaires se retrouvent chez les possesseurs de smartphones qui ne prévoient pas de souscrire un abonnement 5G : ils sont 61% actuellement, surreprésentés chez les femmes (68%) et les défiants à l’égard du Conseil scientifique (69%). Au total, 35% des Français refusent à la fois le vaccin contre le Covid-19 et la 5G, ce qui donne une idée de la part de la population prête à renoncer à ces deux innovations alors qu’aucun consensus scientifique n’admet pour le moment leur dangerosité ! Comme pour le vaccin, ces doubles « antis » sont surreprésentés chez les femmes (42%), les catégories populaires (46%), les extrêmes (39% des sympathisants LFI, 47% de ceux du RN) et les personnes déclarant ne pas faire confiance au Conseil scientifique (45%), à l’utilité des masques (52%) et à la science (43%).
Le croisement du refus de la 5G et du vaccin contre le Covid-19
On observe que la défiance à l’égard de différentes institutions au demeurant indépendantes, structure bien la propension la propension à souscrire un abonnement 5G : 54% des personnes déclarant faire confiance à l’Arcep prévoient de passer à la 5G, contre 33% chez ceux qui s’en méfient. De même, 44% de ceux qui déclarent avoir confiance dans le Conseil scientifique prévoient de souscrire un forfait 5G, contre 31% de ceux qui ne lui font pas confiance. De même vis-à-vis du ministre de la santé Olivier Véran, avec 46% d’abonnés potentiels chez les confiants, contre seulement 34% chez les autres. Ainsi, quand on n’a pas confiance dans les autorités, on est moins disposé à passer à la 5G et plus susceptible d’adhérer aux arguments en sa défaveur.
Comment les sceptiques justifient-ils leur opinion ? Avant tout par le manque de recul sur les effets de ces innovations sur la santé : 79% des personnes n’ayant pas l’intention de se faire vacciner jugent cet argument déterminant dans le choix, comme 54% des Français qui refusent la 5G. Mais outre l’inconnu, c’est la suspicion qui constitue une justification de choix par les « antis » des deux bords : parmi les rétifs au vaccin et à la 5G, respectivement 71% et 51% expliquent leur choix par le sentiment que les opérateurs / laboratoires et les autorités ne disent pas toute la vérité sur ces technologies. 54 à 57% estiment aussi que leur déploiement est avant tout lié à des enjeux financiers.
Comparatif des freins à l’usage de la 5G et à la vaccination contre la Covid-19
Enfin, alors que les réticences à l’égard du vaccin contre le Covid-19 et la 5G sont toujours vives dans la population, 7% adhèrent à la théorie farfelue selon laquelle les vaccins contre le Covid-19 contiendraient des puces permettant d’être localisé via la 5G, 65% la considérant comme fausse et 28% ne se prononçant pas (ce qui au vu de l’énormité de la proposition, suggère une adhésion non avouée…) ! Sans surprise, cette théorie soutenue par 3 à 4 millions de personnes trouve encore plus d’écho chez les plus défiants à l’égard du pouvoir et des institutions, à savoir les catégories populaires (14%), les sympathisants LFI (16%), les antimasques (24%), les défiants à l’égard de la science (20%)… et surtout les Gilets jaunes (26%), preuve de la perméabilité de ce public aux théories complotistes.
Vous pouvez télécharger l’intégralité du PDF reprenant les chiffres clés de l’enquête via ce lien, ainsi qu’une infographie via ce lien.
Le point de vue de Jean-Philippe Dubrulle, Directeur d’études au pôle Opinion de l’Ifop
Au regard de ces résultats, il apparaît donc que les ressorts de la défiance envers les vaccins et la 5G émanent d’un public qui a beaucoup de points communs – notamment nombre d’électeurs des partis protestataires – et qui partage une défiance à la fois à l’égard des autorités de régulation (ex : OMS, Arcep, gouvernement) et du point scientifique dominant. La force actuelle de ce double sentiment de défiance tient sans doute à la crise sanitaire qui a exacerbé l’écho des théories du complot, l’incertitude de la communauté scientifique quant à la réponse à apporter au virus ayant favorisé la volatilité de l’opinion et sa porosité aux thèses complotistes. Face aux insuffisances des institutions et aux incertitudes scientifiques, les opinions deviennent ainsi des valeurs refuges. Dès lors, on ne peut donc qu’aspirer à la réhabilitation du discours scientifique, préalable indispensable au dépassionnement du débat public.