Depuis une décennie, les plateformes de Service de Vidéo à la Demande (SVOD) ne cessent de croître, proposant des catalogues toujours plus tentaculaires de films et de séries. Ce phénomène, baptisé « Peak TV » par l’industrie, en référence à l’imminence du pic qui doit être prochainement atteint du fait du trop grand nombre de productions actuelles, a transformé la manière dont nous consommons des programmes audiovisuels. Mais il est possible que cette profusion de contenus ait atteint ses limites, et que l’on ait peut-être même dépassé ce fameux pic, pour se retrouver du côté de l’autre versant de la montagne. En terrain inconnu.
Une marée de programmes et l’angoisse du choix
Selon une étude de Nielsen publiée en juin 2023, le nombre de programmes disponibles sur les services de streaming aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Allemagne et au Mexique a bondi de près de 40% en deux ans, passant de 1,7 million à près de 2,4 millions. En incluant les chaînes de télévision traditionnelles (câble et hertzienne), on dénombrait l’an dernier plus de 2,7 millions de programmes uniques.
Or, ce foisonnement s’accompagne d’un phénomène appelé « paralysie de l’analyse » par Nielsen. En 2023, 20% des utilisateurs déclaraient passer plus de 10 minutes en moyenne à simplement chercher un programme à regarder, contre 7 minutes en 2019.
Face à l’abondance, certains préfèrent finalement abandonner et se tourner vers d’autres activités. Comme le résume si bien un rapport de Nielsen datant de mai 2023 : « En mai aux États-Unis, 60% du temps total consacré au streaming concernait des programmes initialement diffusés à la télévision traditionnelle ».
Malgré la multitude de choix, une part non négligeable du public continue donc de se réfugier vers des contenus familiers.
Un ralentissement de la production de séries américaines
Une autre étude, réalisée par Ampere Analysis, met en lumière un potentiel ralentissement de la production de séries, notamment du côté des États-Unis.
Le nombre de séries scénarisées sorties aux outre-Atlantique a ainsi chuté de 24%, passant de 633 en 2022 à seulement 481 pour l’année 2023. Cette baisse s’explique en partie par la double grève des scénaristes (WGA) et des acteurs (SAG-AFTRA) survenue en 2023, qui a retardé de nombreux tournages.
Ampere souligne également une volonté de certaines plateformes, comme Netflix (passé de 107 séries en 2022 à 68 en 2023), de rationaliser leurs dépenses de contenu. Et le choix du leader mondial du secteur n’est pas un cas isolé. D’autres plateformes comme Peacock (-20 titres), Hulu (-11), Max (-9) et Paramount+ (-4) ont également réduit leur production de séries en 2023.
Selon Fred Black, analyste principal chez Ampere Analysis, « si 2024 verra un certain rebond dans le contenu commandé, nombre de ces titres ne sortiront qu’en 2025, ce qui signifie que toute reprise risque d’être lente. »
L’internationalisation des catalogues comme roue de secours des productions américaines ?
Parallèlement à la baisse de production américaine, on observe une internationalisation croissante des catalogues de vidéo à la demande (VOD). Ampere Analysis note qu’après les restrictions budgétaires de 2023, les huit principaux services américains par abonnement comptaient 295 nouvelles séries internationales contre seulement 202 séries américaines.
Ce phénomène, accentué par les grèves, traduit une volonté des plateformes de se démarquer en proposant des contenus venus d’ailleurs. Comme le souligne l’étude d’Ampere, « les grèves sont en partie la cause, mais elles cachent également l’histoire plus large de l’internationalisation et de la décentration d’Hollywood en tant que cœur de l’industrie télévisuelle mondiale. »
Il n’est ainsi pas anodin de remarquer que certains des plus gros succès dans le monde des séries des dernières années aient été produits en dehors des États-Unis, comme, évidemment, Squid Game (Corée du Sud), la Casa de Papel (Espagne), ou même la production hexagonale avec Omar Sy à l’affiche, à savoir Lupin (France).
La curation des contenus, symbole d’un changement dans l’industrie ?
Autre signe que l’on passe potentiellement de l’ère de la quantité à l’ère de la qualité, les systèmes effectuant une sorte de « pré-choix » pour l’utilisateur prennent de plus en plus d’importance dans le modèle des plateformes de streaming.
En effet, conscientes de la « paralysie du choix » qui guette les utilisateurs, les plateformes SVOD investissent de plus en plus dans la curation de contenus. Des algorithmes de recommandation plus sophistiqués et des interfaces utilisateur plus intuitives doivent, dans la pensée de ces sociétés, permettre aux abonnés de naviguer plus facilement au sein de l’océan de programmes disponibles.
En parallèle, la course à la différenciation s’intensifie. Chaque plateforme cherche à se démarquer en proposant des contenus exclusifs et originaux, à l’image des séries à gros budget comme « The Mandalorian » sur Disney+ ou « Stranger Thing » sur Netflix.
Cette volonté de se distinguer passe également par la production de documentaires et de films originaux, les géants du streaming venant ainsi empiéter toujours un peu plus sur les plates-bandes des spécialistes traditionnels du secteur de l’audiovisuel.
L’avenir incertain de la production de masse pour les séries
Reste qu’il est difficile à l’instant T de prédire l’avenir que réserve le marché de la SVOD. Le ralentissement de la production de séries américaines sera-t-il durable ? Les plateformes parviendront-elles à endiguer la « paralysie du choix » et à fidéliser durablement leurs abonnés face à une concurrence accrue ?
Une chose est sûre, l’ère de l’abondance déraisonnable semble toucher à sa fin. Les plateformes semblent désormais plus enclines à miser sur la qualité, la curation et la différenciation pour conquérir et conserver le public. Ce nouvel équilibre permettra peut-être aux utilisateurs de retrouver le plaisir de se plonger sereinement dans une bonne série, sans passer des heures à en chercher une parmi des millions d’autres.